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Macky Sall avait prévu Sonko président… mais Mimi Touré a tout saboté


Rédigé par leral.net le Dimanche 23 Novembre 2025 à 15:18 | | 0 commentaire(s)|

Le chef de l’État sénégalais lors du Dialogue national de fin février 2024, cherchant un consensus politique pour éviter une crise post-électorale.
En 2024, le Sénégal a traversé une séquence politique sans précédent. À la veille de l’élection présidentielle initialement prévue fin février, le président Macky Sall a convoqué un Dialogue national d’urgence pour sortir de l’impasse. Son objectif ? Trouver un consensus incluant même ses farouches opposants, afin d’apaiser le climat et préserver la stabilité du pays. Selon les conclusions de ces consultations, il était envisagé de reporter l’élection au 2 juin 2024 – donc au-delà du terme constitutionnel du mandat – et de permettre à des candidats exclus de revenir dans la course, notamment Ousmane Sonko (leader du parti d’opposition PASTEF) et Karim Wade (exilé au Qatar depuis sa condamnation) . En d’autres termes, Macky Sall semblait prêt à ce que son principal adversaire, Sonko, puisse finalement participer au scrutin, tout comme le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, dans l’espoir d’un compromis pour la paix du pays. Cette proposition exceptionnelle revenait à décaler de facto la transition démocratique, certains évoquant même l’hypothèse d’un report pouvant aller jusqu’à deux ans, afin de donner le temps de réunir toutes les conditions d’une élection inclusive et apaisée.

Le Conseil constitutionnel s’oppose au report au nom de la loi

Si cette idée de report de l’élection a pu séduire une partie de la classe politique lors du Dialogue national, elle s’est heurtée à un mur juridique. En effet, le Conseil constitutionnel du Sénégal a été saisi par Macky Sall lui-même pour valider le schéma proposé. Or, le 6 mars 2024, les « sept sages » ont invalidé l’ensemble des décisions issues du dialogue – qu’il s’agisse du changement de date (2 juin), de la prolongation du mandat présidentiel de Macky Sall au-delà du 2 avril ou de la réouverture de la liste des candidats . Les juges ont jugé ces mesures contraire à la Constitution, rappelant qu’aucune disposition ne permet de proroger ainsi le mandat du président sortant. Ils ont également refusé toute candidature supplémentaire par rapport à la liste initialement validée, fermant la porte à un retour de Sonko ou Karim Wade dans la compétition . Face à cet avis ferme, Macky Sall a pris acte. Bien qu’il eût cherché un consensus politique, il a choisi de suivre la légalité : il a immédiatement renoncé à toute velléité de prolonger son mandat au-delà de l’échéance constitutionnelle. Le scrutin présidentiel a donc été reprogrammé in extremis au 24 mars 2024, soit une date compatible avec le départ de Macky Sall le 2 avril. Le président sortant a lui-même réitéré publiquement qu’il quitterait le pouvoir le 2 avril 2024, même si le nouveau président n’était pas encore connu à cette date . Cette décision du chef de l’État de se plier au verdict du Conseil constitutionnel a été saluée par beaucoup comme un respect du « calendrier républicain », bien qu’elle survienne après une intense controverse.

Il faut dire que l’annonce initiale du report de l’élection par Macky Sall, début février 2024, avait provoqué la foudre de l’opposition et de la société civile. Pour de nombreux Sénégalais, c’était une première dans l’histoire du pays de décaler une présidentielle déjà convoquée, et cela a été perçu comme un précédent dangereux. « Le PR Macky Sall restera funestement dans l’histoire comme le premier chef d’État à avoir violé le respect du calendrier républicain », a fustigé l’écrivain Fary Ndao sur Twitter, tandis que des figures de l’opposition ont parlé de “coup d’État constitutionnel” . En particulier, les alliés d’Ousmane Sonko ont très mal accueilli l’idée d’un report, y voyant une manœuvre pour écarter durablement leur champion. Le député Ayib Daffé, mandataire du candidat « Plan B » désigné par Sonko, n’a pas mâché ses mots : « Nous rejetons fermement ce coup d’État et ce braconnage constitutionnel », a-t-il déclaré, rappelant au passage que Bassirou Diomaye Faye – le remplaçant choisi par Sonko – ne renoncerait pas à se présenter le 25 février . En somme, les partisans de Sonko refusaient catégoriquement tout report du scrutin, même si celui-ci avait pour contrepartie la possibilité de réintégrer leur leader dans la course.

Fuites et démentis : le rôle de Mimi Touré

Dans ce contexte explosif, un autre épisode trouble est venu jeter de l’huile sur le feu. D’après des informations rapportées par la presse sénégalaise, c’est Aminata “Mimi” Touré qui aurait fait capoter le deal en coulisses. L’ancienne Première ministre, en rupture de ban avec Macky Sall depuis 2022, se serait employée à éventer le consensus secret entre le camp présidentiel et Sonko. Mimi Touré aurait confié à certains proches de Sonko – dont Bassirou Diomaye Faye – ainsi qu’à des journalistes amis, que « Sonko a accepté de renvoyer les élections » en privé. L’effet de cette fuite a été ravageur : en apprenant que leur leader aurait pu cautionner un report du scrutin (alors qu’il s’y opposait officiellement), de nombreux partisans patriotes de Sonko ont crié à la trahison. Ousmane Sonko a dû démentir vigoureusement avoir jamais accepté un tel arrangement, y voyant une tentative de le discréditer auprès de sa base. Ce faisant, il cherchait évidemment à protéger son image d’opposant intransigeant.

Pourquoi Mimi Touré aurait-elle agi de la sorte ? Plusieurs observateurs estiment qu’elle cherchait avant tout à se refaire une santé politique en se posant en gardienne de la démocratie, au besoin en attisant la discorde au sein du camp adverse. Un membre du bureau politique de Pastef analyse que Mimi Touré mène « une propagande constante visant à opposer ces deux hommes [Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko] l’un à l’autre, créant une rupture artificielle », dans le but de servir sa propre survie politique . Autrement dit, en jetant le doute sur la loyauté de Sonko (via la révélation de son prétendu accord secret avec Macky Sall), Mimi Touré aurait sciemment semé la zizanie chez les Patriotes, espérant fragiliser l’alliance Sonko–Faye qui a émergé de la transition de 2024. Cette stratégie a momentanément créé un malaise, obligeant Sonko à réaffirmer publiquement qu’il n’avait “pas trahi” et qu’il restait en phase avec ses principes. Quoi qu’il en soit, le « consensus » secrètement envisagé n’a jamais pu se concrétiser au grand jour, en raison à la fois du veto du Conseil constitutionnel et de ces batailles de communication en sous-main.

Ironie de l’histoire : Sonko et les siens aux commandes

Le plus frappant, avec le recul, est que l’issue finale a donné raison à l’objectif initial de Macky Sall. Faute de report de deux ans, l’élection a bien eu lieu en mars 2024 – et elle a débouché sur une alternance historique. Bassirou Diomaye Faye, le candidat de Pastef adoubé par Sonko, a remporté le scrutin dès le premier tour avec environ 54 % des voix, devançant largement le candidat du pouvoir sortant . Cette victoire écrasante de l’opposition a été reconnue immédiatement par le camp présidentiel sortant : Macky Sall lui-même a félicité le vainqueur et parlé d’une « victoire de la démocratie sénégalaise », saluant la transition pacifique qui s’annonçait . Le 2 avril 2024, Bassirou Diomaye Faye prête serment comme président de la République, tandis qu’Ousmane Sonko est libéré de prison et pleinement réhabilité politiquement. Quelques semaines plus tard, un nouveau gouvernement est formé : Sonko en devient le Premier ministre, aux côtés du président Faye, concrétisant ainsi l’alternance voulue par les électeurs.

La transition politique de 2024 a vu l’opposition accéder au pouvoir : le nouveau président et son allié clé affichent leur unité, symbolisant le changement de régime au Sénégal.

Ainsi, les “patriotes” pro-Sonko se retrouvent à diriger le pays – exactement ce qu’ils réclamaient depuis des années. Ironie du sort, c’était là ce que Macky Sall proposait en filigrane lors du Dialogue national : intégrer Ousmane Sonko dans le jeu politique et lui permettre de concourir, pour qu’il accède légitimement aux responsabilités. Certes, la formule empruntée n’a pas été celle d’un report de deux ans avec arrangement en coulisses, mais le résultat est finalement proche. Ousmane Sonko, écarté en 2024 pour raisons judiciaires, est revenu au sommet de l’État par la grande porte : il exerce de facto le pouvoir exécutif en tant que chef du gouvernement. Son allié Bassirou Faye, plus jeune président de l’histoire du Sénégal, lui sert de relais fidèle au palais. « Diomaye moy Sonko té Sonko moy Diomaye » (« Diomaye, c’est Sonko et Sonko, c’est Diomaye »), clame d’ailleurs Bassirou Faye pour souligner leur indéfectible communauté de destin . Les deux hommes forment un tandem soudé, fruit d’une stratégie politique payante : Sonko a dû accepter stratégiquement de laisser un proche porter les couleurs de l’opposition en 2024, et cette décision tactique a permis à son mouvement d’arriver au pouvoir.

En rétrospective, on peut estimer que Macky Sall “avait raison” sur un point central. Ce qu’il envisageait comme solution de sortie de crise – à savoir la participation de Sonko et d’autres opposants au processus électoral afin de pacifier le pays – s’est réalisé, mais au prix d’un affrontement institutionnel et dans un calendrier plus resserré. Aujourd’hui, les partisans de Sonko ne réclament rien d’autre que son maintien aux plus hautes fonctions de l’État, que ce soit comme Premier ministre ou futur candidat à la présidentielle de 2029. Autrement dit, ce que Macky Sall avait concédé dans l’ombre (la possibilité pour Sonko de diriger le pays) correspond bien à l’aspiration actuelle des patriotes pro-Sonko. La différence est que cela s’est fait selon les règles constitutionnelles, via une élection effectivement tenue en 2024 et remportée par l’opposition, plutôt que par un arrangement extra-légal. En définitive, le Sénégal a échappé au pire : la transition s’est déroulée dans la paix et la démocratie a été renforcée, même si le chemin emprunté n’était pas celui initialement imaginé.